Alors que la pandémie de Covid-19 continue à faire tache d’huile sur l’ensemble du globe, de petits mammifères volants reviennent, bien malgré eux, sur le devant de la scène : les chiroptères, plus connus sous le nom de chauves-souris.

C’est en effet une chauve-souris du genre Rhinolophus qui est suspectée d’être le réservoir primaire du virus à l’origine de la Covid-19. Virus qui aurait infecté, par saut d’espèce et en mutant, un hôte intermédiaire – possiblement un pangolin – avant d’être transmis à l’homme sous la forme de ce nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2 (1, 2). Laissant craindre que les chauves-souris dans leur ensemble fassent aussi les frais de l’épidémie en cours.

Les chauves-souris ne sont pas porteuses du SARS-CoV-2, agent de la Covid-19

Article The Conversation : Covid-19, origine naturelle ou anthropique ?

Pourtant, loin de l’imaginaire occidental de monstres assoiffés de sang, associés au diable, aux personnages et fêtes sataniques (3), les chiroptères sont utiles et multiples, éminemment sociaux et sophistiqués. Ils forment un maillage essentiel de la biodiversité, un groupe extrêmement varié, mais aujourd’hui en fort déclin partout dans le monde.

Alors faut-il blâmer les chauves-souris pour cette crise sanitaire qui paralyse nos vies et nos sociétés ? Bien au contraire : c’est en les protégeant davantage ou plutôt, en arrêtant de les exterminer que nous nous protégerons de leurs virus et des maladies émergentes qui s’en suivraient.

 

CHAUVES-SOURIS ET VIRUS : UN LIEN ÉTROIT ET ANCIEN

Vous avez sans doute vu fleurir ces dernières semaines sur la toile le terme de « zoonoses », ces maladies liant animaux sauvages, domestiques et humains. Toutes les espèces animales, Homo sapiens inclus, abritent une diversité colossale de virus sans pour autant développer de symptômes – d’où le qualificatif de « réservoirs ». On estime ainsi que les 5 400 espèces de mammifères connues à ce jour hébergent quelque 460 000 espèces de virus, dont l’immense majorité reste encore à décrire (4).

Et les chauves-souris dans tout ça ? Elles sont porteuses d’une armada de virus, la plupart inoffensifs pour l’homme ; certains à l’origine d’épidémies massives et/ou dévastatrices – Ebola en 2014-2015, MERS en 2012, Marburg en 2004-2005, SRAS en 2003, ou encore Nipah et Hendra dans les années 1990 et 2000 (5). La famille des coronavirus ne déroge pas à la règle. Parmi les plus de 3 200 espèces dont les chiroptères seraient porteurs, on retrouve aussi bien des virus mortels que ceux à l’origine des rhumes (6).

La longue histoire évolutive des chauves-souris leur confère un rôle significatif dans la constitution de la “virosphère” actuelle

Le lien qui unit les chiroptères aux virus est très ancien. Les données paléontologiques associées aux analyses génétiques suggèrent une « apparition » de ce groupe il y a plus de 60 millions d’années, à la suite de la crise biologique du Crétacé-Tertiaire, qui a vu la quasi-disparition des dinosaures (7). Au fil de l’évolution, une longue relation de cohabitation s’est ainsi tissée entre les chauves-souris et les virus qu’elles hébergent.

→  Virus Map (Université de Lyon) : l’incroyable carte interactive des virus !

 

Chauves-souris-Natexplorers
Chauve-souris du genre Vampyressa, Panama / Expédition Darién

 

INCROYABLES CHAUVES-SOURIS

Alors qu’ont-ils de si particulier ces mammifères ailés pour constituer un vivier aussi extraordinaire de virus susceptibles de se transmettre à l’homme ? Pourquoi une telle situation, qui remet au premier plan ce vieil antagonisme entre humains et chauves-souris ? Nous allons voir que plusieurs caractéristiques les prédisposent à être porteurs d’un nombre aussi élevé de virus zoonotiques.

IT’S A BAT, BAT WORLD

Après les humains et les rongeurs, les chiroptères sont probablement les mammifères les plus abondants et les plus largement distribués sur Terre. Leur répartition est planétaire, à l’exception des pôles, et leur diversité exceptionnelle : plus de 1 400 espèces de chiroptères sont connues à ce jour, soit près du 1/4 des mammifères mondiaux. En France métropolitaine, on en dénombre 35 – parmi lesquelles le murin cryptique (Myotis crypticus), décrit pour la première fois en 2019 (8).

Et n’oublions pas l’évidence : les chauves-souris sont des mammifères… volants, capables de parcourir de très longues distances – plus de 3000 km pour les espèces migratrices. Un trait qui favorise les contacts intra et inter-espèces et donc la propagation des virus.

Profusion d’espèces, cosmopolitisme, sans oublier une histoire évolutive de plus de 60 millions d’années : des caractéristiques qui constituent un terrain viral des plus propices.

Infographie Science et Avenir : les familles de chauves-souris à travers le monde

 

Principalement insectivores, les chauves-souris sont également frugivores, nectarivores, carnivores, piscivores, omnivores ou encore hématophages – il existe seulement 3 espèces de chauves-souris vampires, appartenant à la sous-famille des Desmodontinés –, multipliant ainsi les possibilités de transmission des virus.

À ces nombreuses spécialisations trophiques, s’ajoute une grande diversité de taille et de poids. Certaines chauves-souris, comme le renard volant des Philippines (Acerodon jubatus), atteignent une envergure de 1,50 m et un poids de 1,2 kg ; tandis que d’autres pèsent à peine 3,5 g (9).

Comparativement à leur taille et à leur métabolisme rapide – directement lié à leur capacité de vol –, les chauves-souris surprennent par leur incoryable longévité : 15 à 20 ans en moyenne. Le record appartient à ce jour au murin de Brandt (Myotis brandtii), 7 g sur la balance, et dont certains individus dépassent les 40 ans à l’état sauvage (10) ! Cette singularité explique en partie la persistance des infections virales dans les colonies de chauves-souris, les adultes infectieux contaminant les juvéniles, devenus à leur tour contagieux pour d’autres individus. Et cetera.

 

Proceedings of the Zoological Society of London, 1833-1838

 

GRÉGARITÉ, IMMUNITÉ & SUPER-POUVOIRS

La grégarité des chiroptères les amène à se regrouper en colonies de centaines voire de milliers d’individus – jusqu’à 1 million pour les plus grandes colonies ! – dans lesquelles plusieurs espèces peuvent cohabiter. Au sein de ces groupes, la transmission et la diversité virales sont ainsi favorisées par des contacts intra et interspécifiques fréquents.

Certains auteurs avancent même que le comportement sympatrique* des chiroptères jouerait un rôle déterminant dans leur statut de « réservoirs viraux ». À cela s’ajoutent les soins réguliers que se prodiguent les chauves-souris, comme le léchage mutuel (grooming), et le fait que la salive constitue un excellent support de diffusion virale (7).

* Sympatrie : littéralement “même patrie”, se dit d’espèces ou de populations qui partagent un même habitat, favorisant de fréquents échanges entre elles.

Toutefois, l’infection virale est la plupart du temps asymptomatique et, de fait, persistante chez les chiroptères. Cette capacité à coexister avec des virus tient à leur système immunitaire, qui semble différent de celui des autres mammifères et lié au développement de génomes mitochondriaux modifiés. Ce contrôle a pu favoriser des événements anciens de coévolution entre chauves-souris et virus (11). Ceci laisse à penser que les chauves-souris auraient, en quelque sorte, appris à contrôler la multiplication des virus et donc, à réguler leur inflammation constante. Comment ? Probablement grâce au vol ou, plus précisément, au taux métabolique beaucoup, beaucoup plus élevé que ce mode de locomotion implique (12).

Le système immunitaire des chauves-souris ou l’endroit idéal pour que des virus prospèrent

A contrario, chez l’humain et d’autres animaux, notamment d’élevage, de nombreux virus sont extrêmement mortels car ils déclenchent une tempête incontrôlable d’interférons*, de cytokines* et d’autres molécules à l’origine d’une inflammation qui va submerger le système immunitaire – le fameux « orage inflammatoire ». Les chauves-souris, elles, peuvent éviter un tel chaos et ainsi tolérer ces mêmes virus (13).

Mais plutôt que de penser que les chauves-souris « tolèrent » une grande variété de virus, certains chercheurs suggèrent qu’il serait plus approprié d’envisager que les virus « choisissent » leurs hôtes. Ils considèrent ainsi le système immunitaire des chiroptères comme l’endroit idéal pour que des virus prospèrent. (14)

* Interférons : types de protéines produites par les cellules immunitaires, empêchant notamment les virus de se répliquer.
* Cytokines : groupes de protéines sécrétées par les cellules immunitaires agissant comme des messagers chimiques. Elles aident à réguler la réponse immunitaire.

 

DE L’IMPORTANCE DES CHAUVES-SOURIS

Protéger massivement les chauves-souris est à la fois la garantie que de « réservoirs » elles ne passent pas à « vecteurs » de virus potentiellement pathogènes pour l’homme, et qu’elles continuent d’assurer leur rôle essentiel dans le fonctionnement et l’équilibre des écosystèmes terrestres.

Généralement insectivores, les Microchiroptères ont une importance cruciale dans la régulation des populations d’insectes, y compris de moustiques ou d’insectes ravageurs des cultures. Une étude parue en 2011 dans Science estime ainsi que la chute des effectifs de chauves-souris aux Etats-Unis, essentiellement causée par le Syndrome du nez blanc, aurait un coût annuel supérieur à 3,7 milliards de dollars pour le secteur agricole (15).

Quant aux Mégachiroptères, ces grandes chauves-souris tropicales consommatrices de fruits, de fleurs et de nectar, elles jouent un rôle prépondérant dans la pollinisation des plantes – on parle de cheiroptérophilie, pour « pollinisation par les chauves-souris » – et la dissémination des graines, aussi bien dans les forêts tropicales humides qu’au cœur des déserts. Nombre de ces plantes sont d’ailleurs cultivées : manguiers, goyaviers, bananiers, baobabs ou encore agaves – du lien étrange entre chauves-souris et… tequila (vidéo ci-dessous) ! 

“Insecticides” biologiques, pollinisateurs, disséminateurs de graines les chauves-souris contribuent activement au fonctionnement des écosystèmes, tant dans la zone intertropicale que dans les régions tempérées

Le rôle écologique majeur joué par les chauves-souris suffit-il à en protéger les populations ? Comme la majorité silencieuse de la biodiversité, la réponse est malheureusement… non. Pourtant, il y a urgence car leurs nombres sont en chute libre partout dans le monde – spécialement en Chine (16) – du fait des activités humaines.

Dans le monde, sur les 1 280 espèces de chiroptères inscrites sur la Liste rouge de l’UICN (Union International pour la Conservation de la Nature), plus de 15 % sont menacées d’extinction. Tandis qu’en Europe, ce sont 25 %. En France métropolitaine, la situation est tout aussi alarmante : sur les 35 espèces de chauves-souris présentes sur le territoire, 8 sont menacées et 8 autres quasi menacées ; et les données du programme Vigie-Chiro indiquent un déclin de 38 % des populations au cours des 10 dernières années !

 

  • Chauves-souris slide Natexplorers (WORLD)

 

CONCLUSION

On récapitule : la longue histoire (co)évolutive des chauves-souris, leur grande diversité d’espèces, d’habitats, d’interactions, de modes de vie et d’alimentation sont autant de caractéristiques particulièrement favorables aux virus zoonotiques. Autant de caractéristiques qui ont fait le lit de l’extraordinaire diversité virale observée chez ces mammifères.

Cependant, le fait que des chiroptères soient porteurs de virus susceptibles d’infecter l’humain n’explique pas pourquoi plusieurs zoonoses se sont déclarées ces dernières décennies. Pour cela, il faut qu’il y ait contact entre homme et animal, que celui-ci soit sauvage ou domestique. « Ni la chauve-souris ni le pangolin ne font une pandémie. Ils sont réservoirs ou transmetteurs d’un virus. » résume Virginie Maris, philosophe de l’environnement au CNRS, dans le JDD (17). Ce qui fait la pandémie, c’est l’accroissement irrépressible des activités humaines – au travers de la déforestation et de la fragmentation des habitats, de l’expansion des surfaces agricoles, du développement des infrastructures de transport et des déplacements associés, du commerce et de la consommation d’animaux sauvages…

Ni la chauve-souris ni le pangolin ne font une pandémie. Ce qui fait la pandémie, c’est l’accroissement irrépressible des activités humaines

« C’est fou quand on y pense : en octobre, peut-être même en novembre 2019, un virus circulait tranquillement au sein d’une population de chauves-souris, quelque part en Asie du Sud-Est. Cinq mois plus tard, il a contaminé toute la planète. » rappelle stupéfait Serge Morand, chercheur au CNRS-Cirad et auteur de “La Prochaine Peste”, dans un entretien accordé à France Info (18).

L’humanité est confrontée aux conséquences de ses propres destructions. Il est urgent que nous changions radicalement de regard sur ce groupe original et fascinant de mammifères qui a été, est et sera encore une formidable source d’inspiration pour l’homme – à condition que nous y mettions les efforts nécessaires.

Plus généralement, la solution serait de laisser le monde sauvage là où il se trouve. La pandémie de Covid-19 ne fait que mettre en lumière une évidence : ne pas respecter la biodiversité, c’est mettre en péril notre santé. C’est tout le propos du mouvement One Health qui promeut une approche unifiée et systémique de la santé publique, animale et environnementale, et ce, du local au global.

 

 

Image de couverture : Ernst Haeckel, « Chiroptera » (1899) / Gallica BnF

 

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Chauve-souris frugivore Artibeus jamaicensis, Mexique / Entre Deux Amériques